Une approche du portrait photographique

Au sens commun, le portrait photographique désigne tout autant l'image "volée" d'un individu reconnaissable que des clichés posés et consentis. C'est ce dernier genre qui anime ma pratique, un portrait étant selon moi, le produit de la rencontre tacite de deux individus, fruit du croisement des regards et des esprits, synthèse visuelle de cette singulière relation ... Confier sa représentation à un autre ne va pas sans réticence. "L’arrêt sur image" surgit comme un jugement irréfutable, associé à cette peur primitive d’affronter une image définitive de soi; celle qui risque d'arrêter notre présence là où on ne le souhaite pas. Une grande majorité d'entre nous déclare: «j'ai horreur d'être pris en photo»,« je ne suis pas photogénique », « je ne me trouve jamais bien » … Je le comprends comme la difficulté d’accorder l’image intérieure, que chacun a de lui-même, avec celle que lui restitue le photographe. Selon moi, la question de la photogénie se situe en grande partie à ce croisement, j’y reviendrai prochainement… Sacrée tache pour le portraitiste que la mise à jour d’une représentation reconnue par le sujet comme étant la sienne ...


L’interprétation d’une personnalité par une autre personnalité
L’expression du sujet et celle du photographe
Il n'y a pas de représentation objective d’un individu, même dans le cadre du protocole déshumanisé de la photographie judiciaire de Bertillon. Le portrait ne peut figurer qu'un fragment, un extrait d'être,  qui sera  chargé du sens de la relation qui le détermine. Tout acte photographique investi, préparé et systématisé, induit un "style", une expression photographique aux composantes multiples telles, la saisie ou la composition de la lumière, la perspective, le cadrage, le choix du décors et bien entendu la mise en scène et le rapport au sujet. Le spectateur de l’image l'identifiera comme la marque du photographe, et éventuellement le signe de la créativité de ce photographe promu artiste. La plupart des photographes tendent, bien naturellement, à créer leur univers visuel personnel, le sujet du portrait devenant acteur du désir de son metteur en scène … On peut se demander si l'emprise de cette "griffe" n’oriente pas l’expression du sujet-modèle, pour finir par l’éloigner de son individualité propre, et donc du portrait, selon ma définition. Un portrait "juste" qui préserverait l'authenticité expressive du sujet, tout en donnant libre court à la subjectivité créatrice du portraitiste tiendrait de ce fragile équilibre ... Je choisis la réduction des artifices de mise en scène, l’épuration de l’intervention esthétique, afin de privilégier l’émergence de cette « vérité photographique » de l’individu; ce sentiment de vérité ou cette reconnaissance, s'il est dit par exemple «c'est tout à fait lui, ça!», sont engendrés par le consensus qui s'établit entre le preneur de vues et son sujet, et le spectateur qui l’accrédite; l'émergence d’une signifiance du sujet photographié. Dans l'esprit et l’esthétique « Harcourt » par exemple, on propose au modèle d’endosser une des figures-types de l’acteur, un habit de séduction délivrant une image valorisante héritée de la tradition du studio cinématographique, dans un noir et blanc intemporel, et dans un style de représentation réservé habituellement aux stars. mais qu’en est-il du sujet ?


De la valorisation artistique du masque tragique à l'expression naturelle
Un portrait perçu comme intense présente souvent son personnage, le regard fixe, plongeant dans celui du spectateur, c'est à dire en premier lieu dans l'"objectif" du photographe, ou tourné vers le lointain, comme tendu vers un ailleurs, alors que le spectateur hésite dans sa perception entre un visage de vie et un visage statufié, dont le regard se serait arrêté sur un point extatique. Une expression au regard "perdu" se prête bien à la photographie et sa pétrification temporelle, le regard semble attendre, déjà prêt pour la postérité ... et le spectateur attend avec lui ... il a tout son temps... Ces expressions, fascinantes par leur fulgurance, sont cependant interchangeables parce qu’elles ne disent rien d'essentiel d’un sujet à l’autre. Lors d’échanges entre confrères photographes, ou avec des spectateurs critiques, je me suis interrogé sur le rejet récurrent du rire ou du sourire en photo, dès lors qu'il existe une prétention à valeur esthétique ou artistique. Le rire ne fait pas sérieux (sic), il est réservé à l’usage familial (et aux photographes qui s’y consacrent), mais semble retirer tout caractère transcendantal au portrait ! Il faut pour comprendre ces sentiments, se souvenir que la photographie, sauf si elle se consacre à la «nature morte», signe la mort du temps et de la vie qu’elle a saisie; instants irrémédiablement perdus et non reproductibles… De mon point de vue, le sourire parle, il est une de ces expressions de sérénité conciliant la dynamique de l'esprit et l'immobilité photographique. Il exprime avec subtilité les nuances d’une personnalité, cependant que le rire, le vrai rire puissant, appelle avec intensité la vie , le mouvement et surtout le son, qui font cruellement défaut à la photo. Le sous-rire, par contre, peut s’exprimer en silence et se maintenir. Notons que ce questionnement relatif à l'expression de la joie ou du bien-être se pose dans la plupart des formes d'expressions artistiques: il s'agit de la prévalence du tragique dans la création; une oeuvre dramatique accédant plus fatalement au statut du "sublime", qu'une comédie notamment... il en est ainsi dans nos cultures et dans notre psychée... Enfin, évoquer les postures photographiques (ou ses impostures!) ne va pas sans considérer l'influence historique des premières photographies humaines, avec ces daguerréotypes magistraux, de Nadar notamment. Le photographe, qui se trouvait alors dans l’incapacité technique de figer une expression fugitive (poses de plusieurs secondes) invitait son personnage à de saisissantes expressions immobilisées ... une quasi instantanéité comparée aux longues heures de pose que nécessitait le portrait peint. La technique photographique, la technologie tout court d'ailleurs, a changé le rapport au temps et à l'autre ... L'imagerie numérique se révèle et se diffuse en temps réel. Chacun peut désormais produire et détenir ses propres images, et accéder à celles de l'autre. La multiplicité des supports et des représentations fixes ou animées banalise l'image humaine ... Mon engagement personnel s'efforce de préserver cette relation unique que constitue une séance de portrait, afin que les images qui en surgissent se chargent d'un peu du sens de chacun. A suivre…


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